500 milliards $ volés aux pays pauvres chaque année
Odile Tobner
Le jeudi 2 février, à l’initiative d’une
dizaine d’ONG, parmi lesquelles on compte le Secours catholique, le Comité
catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), Attac, Survie,
Taxé Justice Network, a été lancée une plate-forme de lutte
contre les paradis fiscaux et judiciaires (PFJ).
Il est essentiel en effet de s’attaquer à ce fléau qui mine
tous les pays, développés et non développés, mais
qui se révèle particulièrement catastrophique pour ces derniers,
parce qu' ils se trouvent entraînés, depuis des dizaines d’années,
dans la spirale de l’appauvrissement, bien loin de pouvoir donner un commencement
d’espoir à leurs habitants. L’existence des PFJ donne l’exemple
d’une impunité organisée au bénéfice de la criminalité
économique. On a pu parler en effet de « génocide exsangue
» pour désigner les ravages produits par la grande pauvreté
tout particulièrement en Afrique, où les flux financiers qui sortent
de pays pauvres très endettés sont bien supérieurs à
ceux qui viennent de toutes les aides possibles, rendant ces dernières
dérisoirement inefficaces.
En 2004, Raymond Baker, dans le Financial Times, affirme que chaque année
500 milliards de dollars sortent des pays les plus pauvres. Sur ce montant, 50
milliards viennent de la corruption, 200 milliards des transferts des bénéfices
des grandes sociétés transnationales, 250 milliards des activités
criminelles (trafics d’armes, de diamant, de drogue). En quasi-totalité
ces sommes aboutissent dans les PFJ, sous couvert de la bienfaisante opacité
qui les met à l’abri de toute enquête judiciaire. Ces sommes
excèdent très largement le montant des aides financières
internationales octroyées à ces pays (1). Il conclut que les mouvements
de capitaux sont virtuellement incontrôlés.
Tant que dure cet état de fait, on pourra continuer à déplorer,
comme l’a révélé l’ONG Transparency International,
que sur les 28 milliards de dollars versés par la Banque mondiale et le
Fond monétaire international au Nigeria, 5 soient allés dans la
poche de l’ancien dictateur Sani Abacha, tout comme 5 autres étaient
allés dans celle de Mobutu, sur les 10 milliards versés au Zaïre.
Aucun montant n’a pu être récupéré, ces sommes
ayant disparu sur des comptes off shore. Par ailleurs les codes des investissements
dans les pays pauvres sont extrêmement favorables, permettant les transferts
les plus avantageux. En cinq ans les capitaux sont amortis. Le milieu politico-affairiste,
notamment français, qui tient l’Afrique peut ainsi engranger des
bénéfices considérables qui ne viendront jamais bêtement
directement en France. Ils iront grossir les comptes suisses, comme on a pu en
avoir une petite idée avec ce qu' on a dévoilé des pratiques
de Elf, dans l’affaire du même nom. Ou alors ils effectueront des
voyages compliqués, passant, d’un simple clic informatique, aux îles
vierges puis à une banque new-yorkaise, pour se retrouver au Luxembourg
avant d’atterrir candidement sur le compte d’un honorable particulier
des Yvelines. On a pu voir ce genre de circuit pour des fonds issus de la Société
nationale des hydrocarbures (SNH) au Cameroun, finissant sur les comptes du fameux
gourou, templier, maçon à la GLNF et je ne sais quoi encore, Raymond
Bernard, ou d’une mystérieuse officine dénommée FAO
(2). Il n’y a aucune raison pour que ces pratiques changent spontanément.
Enfin, dans des pays où règne la corruption, s’épanouissent
et prospèrent sans aucun frein toutes les activités financières
criminelles possibles, générant les flux financiers les plus importants,
qui prennent les même chemins, après avoir vampirisé littéralement
ces malheureux pays, condamnant leurs populations au désespoir.
Connaissant ces faits et impuissants à les faire cesser, nous sommes, dans
la situation des serfs du Moyen-âge, courbant l’échine sous
l’arbitraire des seigneurs. Les grands prédateurs d’aujourd’hui
échappent au contrôle démocratique. Nos élus sont,
au mieux aussi impuissants que nous devant les puissances de l’argent, au
pire complices. Survie, avec d’autres, dans plusieurs pays, va porter ses
efforts en vue d’obtenir une véritable traçabilité
des transactions financières et surtout la mise hors jeu des PFJ par les
instances internationales qui sont menées par des pays puissants, capables,
s’ils le veulent, de faire régner l’ordre financier. qu' on
ne se moque plus de nous avec je ne sais quelle taxéè sur les billets d’avion
pour arriver à l’extinction du paupérisme, qu' un humoriste
appela plus précisément l’extinction des pauvres.
Odile Tobner
.
(1) Voir, sur ce sujet et sur d’autres, les études
publiées sur www.taxéjustice.net
(2) Enquête, restée isolée et sans lendemain, de Philippe
Broussard dans Le Monde 23 décembre 1999.
Source www.michelcollon.info
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