La Croix suit le Fusil
Quand les nations capitalistes européennes colonisèrent
pour la première fois le monde, la croix suivit bientôt le fusil.
Des milliers de missionnaires firent partie intégrante du mécanisme
de conquête et d’asujettissement.
L’implantation d’une administration coloniale exigeait que l’on
réorganisât la société et la structure de la propriété
de façon à privilégier les colonisateurs. D’où
l’utilité de l’enseignement, de la formation et de l’orientation
politique dispensées aux membres de l’élite locale appelés
à collaborer. La conversion à la nouvelle religion qu' ils
apportaient aida à pacifier toute une section de la population, et ouvrit
la voie à certains pour qu' ils deviennent les serviteurs loyaux
et fervents du nouveau pouvoir.
En Russie aujourd’hui, ce ne sont pas que des organisations religieuses
qui inondent la région. Le premier rôle pour la propagation des
valeurs capitalistes revient aux ONG spécialistes des ‘droits de
l’homme’.
En réaction contre les nouvelles restrictions, l’intensité
des pressions politiques et des protestations de Washington a redoublé.
Mais il s’agit purement et simplement d’une supercherie, étant
donné que des réglementations autrement plus restrictives et abusives
régissent les organisations aux Etats-Unis mêmes.
Tout individu et toute organisation qui y reçoit de l’argent d’un
pays étranger doit se faire enregistrer auprès de l’Etat
américain au titre du ‘Foreign Agents Registration Act’.
Les dons charitables doivent également être répertoriés
pour que le public en prendre connaissance. Imaginez que la Russie, l’Iran,
la Corée du Nord, la Chine ou Cuba déverse des millions de dollars
sur des organisations politiques américaines. Même des alliés
des Etats-Unis tels que la France , la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou
le Japon n’ont pas le droit de financer des organisations politiques à
l’intérieur des Etats-Unis.
Dans le numéro du 25 janvier de la revue Russia Profile Alexeï Pankin
décrivait comme suit ses relations avec deux ONG : « Je gérais
un programme de trois ans, financé par USAID, de soutien aux médias
russes, doté d’un budget global de $ 10,5 millions, ainsi qu' un
programme de la Fondation Soros, également consacré au soutien
des médias, au budget annuel de $1,8 million. Le nombre de cadres, directeurs,
d’inspecteurs et conseillers auxquels j’ai eu affaire (ou qui ont
eu affaire à moi) défie l'entendement. Je suis persuadé
qu' il y avait des officiers du renseignement parmi eux. »
Le 23 janvier dernier le Service Fédéral de Sécurité
de Russie (FSB), successeur du KGB , a accusé quatre diplomates britanniques
d’espionnage. Il affirmait avoir surpris l’un d’entre eux
en train de transmettre des fonds à plusieurs organisations non-gouvernementales
russes. Londres a nié toute indélicatesse de sa part, affirmant
que son soutien aux ONG russe s’effectuait au vu et au su de tout un chacun.
Une part importante du financement étranger provient directement de sources
américaines, telles que le quasi-officiel National Endowment for Democracy
(NED) et la US Agency for International Development (USAID) ainsi que du programme
TACIS de l’Union Européenne. Des millions de dollars proviennent
de fondations représentant les intérêts des milieux les
plus fortunés, telles que celles de Ford, MacArthur, Carnegie, Rockefeller
et Soros.
Le changement de régime en Géorgie, en
Ukraine et au Kirguistan
Le rôle des ONG financées par les Etats-Unis
dans les tentatives de ‘changement de régime’ à Cuba,
au Venezuela, au Chili, au Nicaragua et à Haïti est bien connu.
Le rôle de ces mêmes organisations subversives en Europe de l’Est
ainsi que dans les anciennes républiques soviétiques l’est
beaucoup moins, bien qu' elles y soient encore plus présentes.
Le chef du FSB, le service de sécurité russe, accusait récemment
les ONG financées par l’étranger d’avoir fomenté
le renversement des régimes post-soviétiques de Géorgie,
d’Ukraine et du Kirguistan.
Le rôle actif et déclaré joué par ces ONG à
financement extérieur dans le renversement de ces trois gouvernements
explique l’alerte lancée par Moscou. Dans leur enthousiasme, les
médias impérialistes les nomme ‘révolutions de velours’
et parfois ‘révolutions de couleur’, la couleur en question
étant celle choisie par les forces d’opposition.
Il est d’ailleurs ironique que les leaders politiques renversés
– tout particulièrement Edouard Chevernatzé en Géorgie
et Léonid Koutchma en Ukraine – avaient de par le passé
fait figure de candidats préférés des Etats-Unis. Les deux
avaient mis en œuvre des politiques pro-américaines. Ils avaient
favorisé l’adhésion au ‘Partenariat pour la Paix’
de l’OTAN et consenti à envoyer des troupes en Irak.
Cependant les deux chefs furent évincés sans cérémonie
quand ils manifestèrent ne serait-ce qu' une volonté d’indépendance
par rapport aux intérêts américains. Leurs successeurs,
Michaïl Chakachvili en Géorgie et Victor Iouchenko en Ukraine, avaient
d’ailleurs servi dans leurs gouvernements respectifs.
A l’occasion de la cérémonie d’investiture du président
ukrainien Iouchenko l’ancien Secrétaire d’Etat américain
Colin Powell déclara qu' il était « fier d’avoir
été associé aux deux événements » -
tant en Géorgie qu' en Ukraine.
Un aperçu des menées actuelles des Etats-Unis, ainsi que de leur
bilan des interventions passées, peut être obtenu sur les sites
web des fondations ayant apporté leur soutien à ces changements
de régime.
40.000 ONG en Ukraine
Dans un article figurant sur le site internet de la Banque
mondiale et intitulé ‘Le Développement de la Société
Civile en Ukraine et la Révolution Orange’, Vira Nanivska, directeur
du Centre International d’Etudes Politiques d’Ukraine se félicite
que « 40.000 ONG regroupent 12 pour cent de la population ukrainienne
aujourd’hui – et ces organisations ont joué un rôle
moteur dans la Révolution Orange. » (www.worldbank.org)
Elle décrit comment des consultants internationaux, des experts en politique
et des assistants techniques travaillent de concert pour changer la législation
existante, développer des associations, constituer des centres d’informations,
former des fonctionnaires, mettre sur pied des conseils de quartier et des associations
commerciales, tout en faisant pression pour modifier le budget de l’état
dans leur propre intérêt.
Les jeunes et les organisations estudiantines sont attirés au moyen de
campagnes autour du HIV/ SIDA, de la protection des droits des minorités
et la protection des enfants abandonnés. Le but exclusif de ce réseau
de projets, explique-t-elle, est d’empêcher tout ‘retour à
l’ancien régime’ ainsi que de favoriser l’ ‘euro-intégration’,
à savoir l’intégration dans des structures internationales
et européennes telles que l’OTAN et la Banque Mondiale.
Le renversement de la propriété socialiste et le démembrement
de l’Union Soviétique ne se sont pas achevés en 1991. L’élaboration
de lois sur la propriété, les droits des investisseurs étrangers,
la justification de l’expropriation et de la privatisation des ressources,
de l’industrie et des services collectifs en vue du bénéfice
de certains, le démantèlement de programmes sociaux, la nouvelle
configuration des médias, de l’éducation et de la culture
et l’éradication de toute prétention à la souveraineté
nationale sont des tâches de longue haleine.
Ces fonds ont bien plus d’impact dans une zone où a disparu le
système socialiste à planification centralisée qui garantissait
les retraites, le plein emploi, les soins médicaux et l’enseignement
gratuits ainsi que le droit à un logement subventionné. Son démantèlement
brutal a touché des millions d’individus, d’où leur
grande colère contre les dirigeants qui les ont trahis.
Le financement des mouvements de jeunes
Une partie importante des fonds des milieux d’affaires
américains est destiné à la création de mouvements
de jeunes. La Fondation Soros, USAID et la NED financèrent toutes trois
le groupe serbe de la jeunesse Otpor. Les jeunes en question se virent offrir
une formation spécialisée et des séminaires à Budapest
(Hongrie) ainsi que des T-shirts, autocollants, affiches, la location d’un
bureau et un journal, qui jouèrent un rôle capital dans le renversement
du gouvernement Milosevik.
En Géorgie, la Fondation Soros alloua $ 4,6 millions au groupe de jeunes
Kmara, qui s’avéra une arme de premier ordre contre le gouvernement.
En Ukraine, Soros contribua $ 7 millions à Pora, un autre groupe de jeunes.
Le site web opendemocracy.net est financé par les fondations Ford et
Rockefeller.Un article sur ce site de Sreeram Chaulia analyse le rôle
des ONG financées par les USA d’Ukraine au Kirguiztan, en passant
par la Géorgie. Son accroche publicitaire est polémique, énonçant
que « de nouvelles formes de mobilisation de masse des jeunes, fort bien
pourvues en moyens techniques, poussent au changement de régime. Mais
le phénomène est-il aussi innocent qu' il le paraît
à premier abord ? Les mouvements qui inspirent ‘les révolutions
de couleur’ sont-ils des catalyseurs ou des saboteurs ? »
L’auteur se garde bien de critiquer ces ONG : il évalue seulement
leur efficacité à effectuer des ‘changements de régime’.
Quelques-unes de ses observations donnent une idée du fonctionnement
de ces organisations politiques en tant que pièces parmi d’autres
du dispositif de l’arsenal américain.
« Le sabotage suffit dans certains pays, alors que dans d’autres
il faut des offensives militaires de grande envergure» d’ après
Chaulia.
« Ces trois révolutions – celle des ‘roses’ en
Géorgie (novembre 2003 - janvier 2004), la ‘révolution orange’
en Ukraine (janvier 2005) et la ‘révolution des tulipes’
au Kirguistan (avril 2005) – ont chacune suivi le même modèle
: toutes avaient pour fer de lance des ONGI (ONG internationales) américaines
des droits de l’homme. Ce n’est que quand ils correspondent à
leurs objectifs plus globaux de politique étrangère dans une région
donnée que les Etats-Unis y défendent les droits de l’homme
et la démocratie. On constate que les ONGI qui dépendent de fonds
américains soutiennent consciemment ou inconsciemment les intérêts
des Etats-Unis.
« Le premier président de la NED, Allen Weinstein admettait ouvertement
qu' une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui l’était
déjà fait de façon cachée par la CIA il y a 25 ans.
La NED fut conçue à l’origine comme une fondation quasi-gouvernementale
par laquelle transitaient des fonds gouvernementaux à destination d’ONGI
tels que le National Democratic Institute for International Affairs (NDI), la
International Foundation for Electoral Systems (IFES) , le International Research
and Exchanges Board (IREX) et Freedom House.»
« L’Ambassade américaine à Bichkek (Kirguistan) travaillait
étroitement avec des ONG comme Freedom House ou la Fondation Soros –
fournissant des générateurs, une presse typographique et de l’argent
pour que les protestations restent à niveau d’ébullition
jusqu' à ce que le Président Akaïev s’enfuie du
pays. Des informations sur les endroits où les manifestants devaient
se rassembler et sur ce qu' ils devaient apporter étaient propagés
par des stations de radios et de télévisions financées
par le Département d’Etat. »
Le nouveau mouvement anti-guerre qui se développe aujourd’hui ne
doit pas perdre de vue la multiplicité des formes de l’intervention
américaine, ainsi que le chaos et l’instabilité qu' elles
entraînent, ce qui viendra intensifier la conscience anti-impérialiste
et renforcer l’exigence mondiale : ’US out now !’
Source www.michelcollon.info