Liberté, liberté chérie,
où sont tes défenseurs ?
Le président François Hollande l’a
dit :
la France est « en état de choc » et
doit « faire bloc ». Soit. Il en va ainsi
face à la barbarie. La barbarie, c’est
d’assassiner l’enfant qui se rend à
l’école, c’est d’abattre le passant qui
n’aurait pas
la « bonne religion », c’est de forcer les portes
d’une salle de rédaction pour y tuer des journalistes
parce que ce qu' ils écrivent, ou dessinent,
déplaît. C’est pourquoi, face à cette
barbarie-là,
tant de Français veulent que leur pays continue à
placer si haut dans ses propos la question des
libertés de conscience et d’expression, celle de la
laïcité, celle de l’éducation. Et ils seront
nombreux, très
nombreux à être tout à fait résolus à
ne pas reculer d’un
pouce face aux attaques subies par ces principes progressistes.
Rassembler contre le fanatisme religieux et son
obscurantisme
moyenâgeux est chose aisée. Bien plus difficile
en revanche – surtout sous le coup de l’émotion
devant
l’horreur, dans une certaine confusion peut-être aussi
qui
voit l’ami et l’ennemi politiques soudainement côte
à côte
et offre l’opportunité de récupérations
– est de s’entendre
sur l’interprétation de ces événements
dramatiques. Tant
sur leurs causes, ou les responsabilités ultimes et multiples,
que sur les conséquences à tirer ou les solutions
qu' il paraîtrait
souhaitable d’explorer.
La France attaquée… mais quelle France?
Car le fait est que cette tragédie a eu
lieu en France. Et certainement
pas par hasard. Cette France qui, il y a fort longtemps
certes, accoucha d’une révolution si grande qu' elle
a
laissé des traces ineffaçables, irréversiblement
positives, et
dont les principes fondamentaux sont issus : liberté d’expression,
inscrite déjà dans la Déclaration des droits
de l’homme
et du citoyen et poussée loin ; laïcité, pour
laquelle il a fallu
lutter plus d’un siècle encore après 1789 afin
qu' elle structure
la société ; éducation publique, bien sûr,
gratuite, obligatoire,
mur porteur de la
République. Un pays où le
racisme a (avait ?) reculé –
et d’abord dans les quartiers
les plus populaires, dans les
familles les plus pauvres, les
plus mélangées, antiracistes, et pourtant les moins
bien traitées par nos gouvernants. Pays où l’on
voit (voyait ?), partout et toujours, les cultures,
couleurs et religions se brasser, le « métissage »
progresser, plus qu' ailleurs en Europe. Un pays
qui sut (saura ?) accueillir des générations
d’étrangers, tous réputés « problématiques
» en
leur temps, mais finalement « intégrés »,
et qui
peut, qui doit s’en enorgueillir. Un pays qui
compte et la plus forte « communauté musulmane
» et la plus forte « communauté juive »
de
l’Union européenne. Un pays où il n’est
peut-être
pas totalement inimaginable qu' un jour les luttes
de masse, tournées vers le progrès social à
l’intérieur et vers
la solidarité avec les peuples du Sud à l’extérieur,
se mettent
à nouveau en mouvement. N’est-ce pas également
ce que
cette France-là peut représenter aux yeux du monde
que ces
fanatiques religieux ont frappé ?
La liberté d’expression… pour
mieux se taire?
Est-ce un hasard si les coups portés contre
cette même
France, celle que nous voulons, celle de tous les combats
anti-esclavagistes, anticolonialistes, anti-impérialistes,
antifascistes,
celle qui est à l’heure présente confrontée
au défi
de réinsuffler les valeurs de progrès (du programme
du
Conseil national de la Résistance) tout en bâtissant
une
société de tolérance, est-ce vraiment un hasard
si ces coups
proviennent aussi des politiques néolibérales actionnées
par
les puissances de l’argent ? Voilà bientôt un
demi-siècle que
ces politiques, par leurs idéologues, se déchaînent
contre la
raison des Lumières, calomnient l’héritage révolutionnaire
–
Robespierre, qui abolit les privilèges et l’esclavage,
sera le
premier des « terroristes » ! –, abandonnent l’école
aux marchés
et aux chapelles confessionnelles, vendent les services
publics pourtant indispensables à l’exercice de la
citoyenneté,
bradent la souveraineté nationale, attisent les communautarismes
et leurs haines, criminalisent la révolte dès
qu' elle n’est plus pro-systémique
ou manipulable ?
Telle est la ligne de la
finance ; tel sera le dogme
des médias dominants qui
lui appartiennent. Pour faire
l’opinion, ou plutôt la formater. Quelle est cette liberté
dont
parlent brusquement les porte-paroles des oligopoles financiers,
marchands d’armes, milliardaires « philanthropes »
?
Se borne-t-elle à la bêtise télévisée
de ces chroniqueurs économico-
politico-sportifs rétrogrades rivalisant de provocations
? Est-ce la portée espérée du débat
démocratique ?
Juste la longueur de la laisse du chien de garde rageur qui
aboie pour plaire à son maître et mériter sa
pâtée ?
S’agit-il de défendre la liberté d’un
système qui fait
aujourd’hui le silence sur les exactions de l’armée
ukrainienne
au Donbass, tout comme hier sur le dépècement de
la Yougoslavie par l’Otan ? Et les cris des enfants déchiquetés
de Gaza ? Libérés, ces médias déversant
leur flux incessant
de propagande contre les avancées révolutionnaires
latino-américaines ? Librement informé, le citoyen
à qui
l’on ne dit rien (ou presque) sur les innombrables victimes
des guerres qui mutilent le monde arabo-musulman depuis
la guerre du Golfe – en fait depuis la fin de l’URSS?
Même
pas quand ces victimes, évidemment musulmanes le plus
souvent, et parfois journalistes, sont exécutées par
des fondamentalistes
salafistes…
Des responsabilités… équitablement
partagées?
Ce sont ces puissances de la finance, à
qui obéissent nos
médias dominants, qui poussent depuis vingt-cinq ans le
gouvernement des États-Unis dans une logique de guerre
militaire permanente. Ce sont elles que les dirigeants français,
atlantistes de tous bords, ont renoncé à combattre
pour
accepter de se soumettre à leur folie destructrice. Elles
qui,
pour maintenir l’ordre si violemment inégalitaire qu' elles
imposent au monde, ont besoin de retourner contre les
peuples du Sud – et de l’Est – les travailleurs
du Nord,
contre lesquels elles mènent pourtant une guerre sociale.
Ce
sont ces puissances qui, au fond, sont responsables de cette
barbarie aux mille créatures.
Ces créatures, devenues des démons,
sont leurs. Talibans
que les services étasuniens ont couvés, formés,
jetés contre
les communistes afghans appuyés alors par les Soviétiques.
Intégristes du FIS égorgeant en Algérie, mais
disposant de
bureaux à Washington. Aqmi semant la terreur au Mali,
mais surgie du chaos où la France (du président Sarkozy)
plongea la Libye de Mouammar Khadafi – autocrate et rempart
contre l’intégrisme à la fois. Dae’ch
maintenant, fruit
empoisonné de l’invasion de l’Irak de Saddam
Hussein –
autocrate, et anti-intégriste – par les États-Unis,
mais aussi
fruit de l’aide militaire de la France – du président
Hollande
cette fois – aux « opposants modérés du
régime syrien »
(Al-Nosra jusque fin 2012 ?) et du soutien de l’Arabie
Saoudite et du Qatar, bailleurs de fonds du terrorisme et
alliés des États-Unis et de la France (et donc d’Israël).
Ces
créatures ont servi et servent l’intérêt
commun des impérialistes.
Pas partout ni toujours, évidemment, mais moult fois
et en maints endroits. Pourquoi ne le serviraient-elles pas
encore à l’avenir, d’une autre manière
? Par exemple, en
gagnant à leur cause guerrière la majorité
des classes populaires
du Nord ? C’est là toute l’utilité des
« dérapages »
islamophobes actuels.
Faudra-t-il alors une guerre contre l’Iran,
quand ses pasdarans
sont, avec les peshmergas kurdes (et bien sûr les
combattants du PKK, considérés comme des « terroristes
»
par la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, et Bruxelles à sa
suite), les plus efficaces à stopper la marche de Dae’ch
?
Faudra-t-il s’acharner, en Syrie, contre un autre autocrate,
luttant lui aussi contre l’intégrisme ? Une guerre
ouverte au
Yémen, au Pakistan ? Et après ? Une autre encore en
Russie
? En Chine ? Faudra-t-il plus de sang, de ruines et de
misère ? Une troisième guerre mondiale ? Laisserons-nous
saccager le globe tout entier pour que quelques possédants
continuent à nous asservir ? Combien d’« erreurs
» va-t-on
reconnaître après coup, combien de morts va-t-on compter,
pour comprendre ? Ces voix sont celles de la déraison ; cette
voie est celle du chaos.
Il ne se trouve pas en France « libre »,
« démocratique »,
« civilisée », ni dans le Nord en général,
un seul canal de
télévision suffisamment progressiste et alternatif
– du type
Tele Sur en Amérique latine, par exemple –, pour tolérer
l’exposé argumenté, justifié, prolongé,
répété d’un appel de
paix qui tiendrait en ces mots : non aux guerres impérialistes,
non aux injustices capitalistes qui sont à leur origine,
non aux racismes qui en sont les effets !
La devise de la République française
forgée par sa Révolution
a été touchée au coeur par la sauvagerie terroriste.
Mais de quelle France parlons-nous ?
Rémy Herrera
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