Celac : perspectives et contradictions
En décembre 2011, j'ai assisté à la conférence
de presse organisée (au siège du CAPE, Centre des Associations
de la Presse Etrangère), à Paris, par le Groupe des Ambassades
des Pays de l'Amérique latine et des Caraïbes en France qui annonçait
la naissance de la CELAC.
Je pense qu'Atilio Boron et Angel Guerra-Cabrera (les auteurs des deux articles
qui suivent mon propos expriment mieux que je ne saurais le faire car ces témoins
directs, étaient à Caracas, moi pas) ce qu'il faut attendre et
espérer de cette initiative historique. La naissance de la CELAC est
bien un événement historique qu'il ne faut pas sous-estimer.
Une fois de plus, j'ai été très choqué, lors de
cette conférence de presse, de constater l'absence du journal "L'Humanité"
ainsi que celle de tout responsable du PCF.
Concernant les articles de ces deux journalistes latino-américains,
on peut ne pas être en accord total avec ce qu'ils ont écrit mais,
pour ma part, je considère que ce qu'ils ont répercuté
correspond bien à ce que les ambassadeurs, du Vénézuéla,
de Panama et de Cuba, ont exprimé à la tribune de la conférence
de presse, à Paris.
Ce jour-là, environ une douzaine d'autres pays de la CELAC étaient
présents ou représentés par leurs principaux conseillers
pour accompagner ceux déjà cités.
Je vous invite à lire ces deux articles qui ont été relayés
par le site "Le Grand Soir".
Dominique Dionisi
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CELAC : deux orientations pour un projet.
Il ne fait aucun doute que la création de la CELAC
est un des principaux événements dans les Amériques depuis
longtemps. La seule idée d’une organisation réunissant les
pays latino-américains et des Caraïbes sans la présence étouffante
des USA et du Canada est une très bonne nouvelle qui nous ouvre l’espoir
que la domination teintée de mépris avec laquelle la Maison Blanche
traitait les affaires du sous-continent butera désormais sur des obstacles
croissants. La prétention à l’hégémonie de
« l’empire » ne va pas s’évanouir du
seul fait de la création de cet organisme, mais ses désirs et
ordres n’auront plus l’assentiment automatique qu' ils eurent
durant des décennies, par exemple quand l’oukase de Washington
exclut Cuba du système américain en 1962.
Ne nous laissons pas aller toutefois à un enthousiasme excessif. Faire
fonctionner effectivement la CELAC c’est à dire en faire un organisme
protagoniste méritant les grandes espérances déposées
en elle, ne serait pas facile. Sa création est un acquis d’une
rare importance, mais pour le moment elle reste un projet qui pour être
efficace devra être capable de devenir une organisation c-à-d un
sujet doté de capacités suffisantes d’intervention dans
notre région, Notre Amérique. Or, comme nous allons le voir plus
avant, ce n’est pas le projet des gouvernements latino-américains
de droite avec la bénédiction de la Maison Blanche.
La crise du capitalisme actuel est sans précédent. Elle a contribué
à ce que même les gouvernements les plus réactionnaires
consentent à s’unir dans la CELAC. C’est un geste si important
qu' il serait aussi grave de minimiser la victoire et la potion amère
qu' il a signifié pour Washington que d’exagérer son
effet immédiat. Ce n’est mystère pour personne que l’extrême
hétérogénéité socio-politique du continent
(allant de la révolution cubaine au régime fantoche de Lobo au
Honduras-installé par la Maison Blanche par le renversement de G. Zelaya,
faut-il le rappeler, en passant par Santos, Calderon, Martinelli, Chinchilla,
Cristina, Dilma, Mujica, Lugo, Humala jusquà Chavez, Evo et Correa) devrait
être un sérieux obstacle au moment de concrétiser de beaux
discours sans conséquences dans les brulantes affaires régionales.
Deux exemples : en premier lieu, il est notoire que Washington dispose
de budgets conséquents et de « conseillers » sans
compter de nombreuses autres ressources pour « aider »
des acteurs locaux qui s’opposent aux politiques de gauche quand ils ne
cherchent pas à renverser leurs gouvernements qui déplaisent en
Amérique du nord. Bolivie, Equateur, Vénézuela et en premier
lieu Cuba sont les cibles favorites de ces politiques. Dans de nombreux cas,
cette ingérence impérialiste s’effectue au travers d’organisations-écran,
dans d’autres, c’est directement au travers de la politique gouvernementale
locale « suggérées » par des agences ou
organismes fédéraux tels la DEA, la CIA et l’USAID parmi
les plus importants.
Sera-t-il possible que la Celac condamne ces pratiques interventionnistes de
« l’empire » et prenne des décisions requises
pour les neutraliser, s’appuyant sur le fait qu' elles violent les
lois internationales et qu' elles sont de nature profondément antidémocratique ?
Cela paraît fort peu probable même si des exceptions sont toujours
possibles dans des circonstances extrêmes. Y aura-t-il unanimité
pour soutenir une politique de ce type en second lieu (un exemple crucial) pour
exiger la fin du statut colonial de Porto-Rico ? Cela ne semble pas probable.
C’est peut-être pourquoi plusieurs gouvernements (parmi lesquels
le Chili, la Colombie et le Mexique) ont lourdement insisté pour que
toutes les décisions soient prises à l’unanimité
des membres de la Celac.
La peur que les gouvernements les plus radicaux de
la région puissent constituer une majorité qui déplaise
à la Maison Blanche et puisse nuire aux « relations amicales »
que maintiennent différents pays avec Washington. C’est pourquoi
aussi, les pays qui veulent que la Celac soit plus qu' un forum périodique
et devienne un organisme effectif, demandent eux que des décisions à
une majorité qualifiée puissent être prises (la proportion
sera longtemps en discussion) pour ce qui concerne la vie de l’institution.
Le ministre chilien Alfredo Moreno a été clair en exprimant la
position de l’impérialisme : « la Celac sera un
forum et non une organisation, sans siège permanent, ni secrétariat
ni employés permanents, rien de tout cela ». Pour Moreno,
représentatif de la droite latino-américaine, il s’agit
de stériliser le projet, le castrer à la naissance pour en faire
une succession de sommets présidentiels sans importance (Chili en 2012,
Cuba en 2013, Costa-Rica en 2014). Et c’est le Chili qui préside
la Celac en 2012, c’est Sebastian Pinera qui mettra en œuvre son
projet « décaféiné » appuyé
par toute la droite latino-américaine dont la première caractéristique
est la soumission et la génuflexion devant les diktats de l’empire.
Un autre projet existe pour la CELAC en droite ligne du programme bolivarien
du Congrès de 1826 et les espérances de San Martin, Artigas, Sucre,
Marti, Morazan, Sandino et tant d’autres patriotes latino-américains
et caribéens. Un projet brillamment mis à jour il y a un demi-siècle
dans la Seconde Déclaration de La Havane et impulsé par Fidel,
Raul et le Che.
La confrontation de ces deux orientations est inévitable et les circonstances
historiques (approfondissent de la crise générale du capitalisme,
interventionnisme nord-américain, prises de conscience politiques de
nos différents peuples etc) pèseront différemment sur les
plateaux de la balance. Souhaitons que ce soit dans un sens positif. Rappelons
que les remparts de l’influence nord-américaine dans la région -
Chili, Colombie, Mexique - sont des poudrières qui peuvent exploser d’un
moment à l’autre.
Washington a beaucoup attendu et laissé faire. Le baptême de la
CELAC a été une très mauvaise nouvelle pour « l’empire »
mais il sait qu' il lui reste encore de bonnes cartes dans la manche. Par
exemple qu' il dispose de plusieurs « chevaux de Troie »
dans une organisation encore sans saveur et qu' ils se mettront docilement
à son service le moment venu. Il sait aussi que son travail persévérant
de déstabilisation des gouvernements les plus radicaux peut les affaiblir,
créant ainsi des difficultés qui se refléteront au sein
de la CELAC. Il sait enfin que ses chants de sirène entendus par les
dirigeants de centre-gauche d’Argentine, Brésil, Uruguay, Pérou,
peuvent tenter leurs gouvernants de déserter le projet d’émancipation
des racines de la Celac actualisés par Fidel, Raul, Chavez et Correa
pour n’en citer que les figures principales.
Les gestes de conciliation
lancés par Obama vers Cristina Fernandez et le travail permanent de séduction
que la Maison Blanche exerce sur Brasilia sont des pièces de cette stratégie.
Séparer l’Argentine et le Brésil du projet radical de la
Celac, isoler Chavez, Evo et Correa et au passage donner un tour de vis au blocus
contre la révolution cubaine. « L’empire »
ne laissera rien au hasard. L’enjeu est bien trop grand : 20 millions
de kms carrés, un marché de 600 millions d’habitants, sept
des dix plus grands producteurs de minerais stratégiques du monde, la
moitié de l’eau douce et de la biodiversité de la planète
sans parler du pétrole, gaz naturel, ressources énergétiques
de tout genre et alimentation pour contrer la faim d’un milliard de personnes.
Comme le rappelait Che Guevara, l’Amérique latine est l’arrière-garde
stratégique des USA, et dans les conditions actuelles de crise économique
internationale et l’accélération de la décomposition
du précaire « ordre mondial » créé
par Washington dans l’ après guerre, cette arrière-garde
acquiert une valeur décisive
C’est pourquoi il nous faut livrer la bataille pour la CELAC, pour que
le projet d’émancipation qui lui a donné naissance l’emporte
finalement et nous ouvre les grandes avenues dont parlait Salvador Allende dans
son dernier discours. C’est par ses avenues que passeront nos peuples
dans leur longue marche vers la justice et la liberté, l’autodétermination
nationale et la démocratie.
Atilio A. Boron Le 27 décembre
2011
http://www.legrandsoir.info/celac-deux-orientations-pour-un-projet.html
Atilio A. Boron est directeur du PLED (programme latino-américain
d’éducation à distance en Sciences sociales du Centre culturel
de coopération « Floreal Gorini ».
Son blog personnel : www.atilioboron.com.ar
La CELAC et la démesure du rêve bolivarien
Le Sommet constitutif de la Communauté des États
d’Amérique latine et de la Caraïbe (CELAC), célébré
à Caracas les 2 et 3 décembre, est un événement
d’une indiscutable dimension historique. L’on peut dans un cas pareil
utiliser ce qualificatif sans avoir peur d’exagérer. La réunion
a dépassé les expectatives les plus optimistes grâce à
l’esprit démocratique avec lequel celle-ci a été
préparée par les amphitryons vénézuéliens
en consultation permanente avec les autres gouvernements, à l’ambiance
de fraternité dans laquelle elle s’est développée,
à l’importance du contenu des documents fondateurs qui regorgent
d’un esprit et d’un lexique émancipateurs, indépendants
et latino-américanistes. A partir de maintenant l’Amérique
latine et la Caraïbe s’exprimeront avec leur propre voix au sein
du concert international et multipolaire des nations, accéléré
par la débâcle du capitalisme néolibéral et les guerres
d’agression échouées de Washington.
Bien qu' au sein de la CELAC existent des nations ayant
des politiques néolibérales et d’autres qui la questionnent
frontalement, le sommet marque la rupture de la région avec le Monroïsme
[de la doctrine Monroe, ndt]. Comme le montrent les expériences passées,
ces différences ne doivent pas empêcher son fonctionnement. Il
convient de rappeler que le chemin à suivre maintenant ne sera pas exempt
d’obstacles endogènes et principalement de menaces exogènes.
Dans tous les cas, la magnitude de ses objectifs d’intégration
économique, culturelle et politique (qui comprend aussi l’inclusion
sociale), protection de la nature et participation citoyenne est inhérent
à la magnifique démesure du rêve bolivarien et martien.
Ainsi le confirment la Déclaration de Caracas, la Procédure pour
le fonctionnement de la CELAC, le Plan d’Action de Caracas et les 20 autres
documents adoptés.
Lorsque Bolivar a énoncé cet idéal, ensuite
actualisé par Marti, certains ne l’ont pas cru viable, même
s’ils l’ont qualifié de noble et splendide ; d’autres
n’y ont guère prêté d’attention ; d’autres
encore –les empires et les oligarchies– se sont dressés en
tant qu' ennemis jurés et ont fait tout ce qui était en leur
pouvoir pour le tuer dans l’œuf quand il s’est transformé
en projet politique. Mais toujours, même dans les circonstances les plus
adverses, il y a eu des personnes qui ont défendu cet idéal et
qui lui furent fidèles, comme nous avons pu l’apprécier
dans l’intéressant face à face qu' ont eu Cristina
Fernández et Hugo Chavez au sujet de l’histoire latino-américaine
quelques jours avant le sommet [de la CELAC] en direct à la télévision
vénézuélienne (www.cubadebate.cu/noticias/2011/12/03/cristina-y-chavez-un-d...).
Bien que l’espace ne me permette pas ici de mentionner des noms, la création
de la CELAC oblige à rappeler les militants sociaux, révolutionnaires
et intellectuels qui ont maintenu vivant ce rêve et l’ont enrichi
le long des ans, plusieurs d’entre eux associés à l’Université
Nationale Autonome de Mexico. Mais si l’on me demandait de ne citer qu' une
seule personne qui durant le XXème et le XXIème siècle
a cru, prêché et agit abondamment en faveur de la nécessité
d’unir l’Amérique latine et la Caraïbe, ce serait Fidel
Castro. Pour citer seulement un fait peu connu, le leader de la révolution
cubaine est la seule personne qui, alors qu' elle n’appartient pas
à la Communauté des Etats de la Caraïbe (Caricom), par décision
de tous ses leaders a reçu l’Ordre Honoraire de celle-ci, hommage
à la ferveur et au sacrifice qui ont accompagné Fidel durant toute
une vie de service « dédiée à son pays, à
sa région et au reste du monde en développement ».
Il est bien sur impossible d’expliquer la CELAC sans
le travail du groupe de Rio, premier mécanisme de concertation politique
nettement latino-américain, et les sommets de l’Amérique
latine et la Caraïbe pour le Développement qui ont eu lieu au Brésil
et au Mexique. Ils font partie de son corpus, comme le proclament les documents
fondateurs. Il est aussi nécessaire de souligner que durant l’étape
comprise entre les années 90 et l’actualité, c’est
Hugo Chavez qui a été le plus important moteur et instigateur
des alliances, des grands accords et consensus, un des principaux artisans des
institutions et des contenus solidaires dans les relations latino-caribéennes
qui ont rendu possible le fait que la création de la Celac soit une réussite.
On compte parmi ses succès la très importante restauration des
relations entre le gouvernement de Colombie et celui du Venezuela grâce
à une louable volonté mutuelle.
Il y a 17 ans (4 ans avant d’être élu président),
Hugo Chavez a affirmé à l’Université de la Havane :
Le siècle qui vient, pour nous, ce sera le siècle de l’espoir.
C’est notre siècle, celui de la résurrection du rêve
bolivarien, du rêve de Marti, du rêve latino-américain. L’histoire
est en train de lui donner raison.
Angel GUERRA CABRERA
Article paru dans le quotidien mexicain « La Jornada »
et repris le 9/12/2011 par le site « Le Grand Soir »
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