L’O.C.R.S. TENTATIVE DE MAIN-MISE FRANÇAISE SUR LE SAHARA Amadou Seydou Traoré Article publié pour la première fois dans le N°004 de « Réveil » 3 au 18 septembre 1991I - REPÈRES HISTORIQUES Il faut, tout d'abord, se rappeler qu'à l'instar des autres régions du Mali, les anciens royaumes et empires pré-coloniaux ont opéré dans les actuelles régions Nord un brassage harmonieux de races et d'ethnies résultant de complémentarités fécondes et de tolérance. Une des caractéristiques essentielles des populations de la zone sahélo-soudanienne est leur attachement à leur espace géographique, la simplicité de leur mode de vie, la cadence de leurs activités pastorales, agricoles, artisanales et commerciales. Tout au long de l'occupation de cet espace, les populations agro-pastorales de cette zone ont créé avec les populations sédentaires des rives du Niger, les conditions d'une vie harmonieuse et d'échanges fructueux. Avant l'occupation coloniale, des ententes tacites liaient sédentaires noirs et nomades blancs, dans le respect de leur intérêts mutuels. L'occupation coloniale créera les premières discriminations entre nomades blancs et sédentaires noirs. Les actuelles régions NORD ont souffert d'une sous-administration chronique : 4 cercles, 10 écoles dont 4 dites «régionales» (primaires au niveau des chefs-lieux de cercles), 10 dispensaires et infirmeries. Cette administration, géographiquement et culturellement à des années-lumière des préoccupations des habitants, se caractérisait par la séparation systématique des deux populations. Rien n'avait été entrepris en direction des populations nomades dans le domaine social et culturel. Seules les populations sédentaires étaient astreintes aux 10 jours annuels de prestations obligatoires pour l'entretien des routes et la construction de bâtiments administratifs. Seules elles étaient soumises, au recrutement pour I'école, l'armée et pour les corvées exigées pour les industries coloniales. Le résultat le plus négatif aura été que rien n'a été entrepris pour le bien-être physique ou culturel des populations nomades. L’un des pionniers de la scolarisation des populations
nomades aura été le chef des Kel-Antassar de l'Ouest, Mohamed
Ali Ag Attaher qui fit ouvrir des écoles sous la tente, pour sa tribu,
et dont il faisait assumer les dépenses par les parents des enfants ainsi
scolarisés. Ce fut l'origine des écoles nomades et des cantines
scolaires dans les VIè, VIIè et VIIIè régions. Au plan administratif, il fut créé les structures administratives (arrondissements), dotées des moyens rendant possible la vie sédentaire. Ces structures ont été échelonnées de la frontière avec le Niger à celle qui nous sépare de la Mauritanie, couvrant ainsi la zone d'occupation nomade dans sa totalité. Au plan économique et social il fut procédé à la création de groupements d'éleveurs pour toutes les fractions, des fédérations de groupements ruraux et pastoraux dans les arrondissements et à l'ouverture d'une école dans chaque chef lieu d'arrondissement. La multiplication des magasins de la SOMIEX et des dépôts de l’OPAM ont permis d'assurer l'abondance et la permanence du ravitaillement en produits de première nécessité, les officines de la pharmacie populaire ont mis les médicaments à la portée des populations de ces régions. L'institution d'écoles sous la tente, adaptées à la vie migratoire des populations nomades, la mise en place de cantines scolaires ont été des mesures spécifiques à leur mode de vie. Le coup d'État de 1968 a empêché le démarrage des travaux de construction et d'équipement par des fonds maliens, saoudiens et koweïtiens d'une cinquantaine d'écoles fondamentales bilingues particulièrement adaptées à la scolarisation des enfants nomades ainsi que la construction du lycée Mohamed V de Tombouctou, cofinancé par le Maroc et le Mali. Des délégations de femmes, de pionniers, d'artisans
et d'artistes des Régions du Nord parcouraient le reste du pays, apportant
leur contribution à la consolidation de l'unité nationale. - Population sédentaire: 1.000.000 habitants
On peut maintenant, essayer de comprendre la genèse des évènements qui ont agité le Nord de notre pays. Il existe deux forces centrifuges : l’une d'origine externe et de nature impérialiste ; la seconde interne et de caractère racial, quoique des alliances puissent les souder provisoirement même si, objectivement, des contradictions les divisent. II - L’O.C.R.S. La première, tant pour son antériorité que sa gravité, remonte aux dernières années de la présence coloniale au Soudan Français. Le projet de création de l'Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) ambitionnait de détacher des espaces territoriaux de l’Algérie, du Soudan Français (le futur Mali), du Niger et du Tchad, des zones réputées riches en ressources minières au bénéfice de la puissance coloniale. Le corollaire évident était d'obtenir l'adhésion des populations, de miroiter aux yeux des ethnies blanches, la promesse de ne pas subir le « commandement des anciens esclaves noirs». En quoi consistait ce projet ? Depuis le début du 20è siècle des hommes avertis avaient pressenti que le Sahara, désert et infertile en apparence, pourrait bien devenir un jour, grâce à ses ressources minières, un territoire très riche. Mr Erik Labonne, ancien résident de France au Maroc avait proposé à son pays de construire un grand ensemble industriel au Sahara. En 1952, une mission de l'Assemblée de l'Union Française avait conclu à la nécessité d'y créer un nouveau Territoire d'Outre-Mer (TOM) et dès les premiers jets de pétrole à Edjélé et à Hassi Messaoud (en Algérie), le Gouvernement Français de l'époque a déposé à l'Assemblée Nationale, un projet de loi tendant à faire du Sahara, relevant de collectivités territoriales et ministères différents, «un territoire autonome». Voilà l'expression lâchée. Cette notion de «Territoire autonome» reviendra souvent sur le tapis concernant les régions du Nord de notre pays. Malgré l'hostilité et l'opposition de plusieurs
parlementaires d’Afrique du Nord et de l'Afrique Sud Saharien, l'Organisation
Commune des Régions Sahariennes (OCRS) fut créée par la
loi française n° 057-7-27 de 10 Janvier 1957 parue dans le Journal
Officiel de la République Française du 12 Janvier 1957. Le
but officiellement proclamé était de «promouvoir toute mesure
propre a améliorer le niveau de vie des populations et à assurer
leur promotion économique et sociale dans le cadre d'une évolution
qui devra tenir compte de leurs traditions» Les limites Sud de l'OCRS n'ont pas été fixées par les textes qui se sont bornés à indiquer que «ses limites SUD devront être précisées après consultation des assemblées territoriales intéressées ». Ce qui était vague pour permettre à la France dont les armées se battaient à l’époque en Algérie, de pousser les limites Sud aussi loin qu' elle le voulait, puisque les assemblées à consulter n'étaient rien d'autre que des instances aux prérogatives réduites dans le cadre de l'Union Française. L'OCRS était placée sous la direction d'un délégué général nommé en Conseil des ministres. Ce délégué devait «disposer à l’intérieur de l'espace Saharien, de tous les pouvoirs nécessaires pour atteindre les buts de l’organisation » et il nommait à «tous les emplois». Il avait, toujours par décret pris en Conseil des Ministres Français, délégation des pouvoirs précédemment exercés par le Ministre de l'Algérie et par les Hauts Commissaires et gouverneurs de l’AOF et de l'AEF. Il était responsable, avec l’assistance d'un officier général, du maintien de l'ordre et avait autorité sur toutes les forces armées stationnées ou non dans la zone, qui pourraient être mises à sa disposition. Une sorte d'assemblée assistait le délégué général. Elle comprenait: - 16 représentants des populations des régions
sahariennes (8 Algériens, 2 Mauritaniens, 2 Nigériens, 2 Soudanais,
2 Tchadiens tous Sahariens). III - RICHESSES DU SAHARA 1°) L'eau : Il est généralement admis par
tous les hydrogéologues compétents ayant étudié
cette région, que le Sahara recouvre d'immenses réserves d'eau
sous pression. On cite couramment la Mer de SAVORNIN (800.000 km2 - 50.000.000.000
m3) et le Bassin de KATTARA (3 milliards de m3). La nappe la plus importante
va de la Mauritanie à la Somalie en passant par le Mali, l'Algérie,
la Libye, le Niger,, le Tchad, le Soudan et l'Éthiopie. Or dès
qu'il y a de l'eau, tout devient possible au Sahara. Des indices sérieux existent, concernant le diamant, le platine, le cuivre, le nickel, l'or, le lithium, 1'uranium, le zinc, l'étain, le plomb et le pétrole. Le Journal «le Monde» du 23 -7-57 avançait le chiffre de 6 à 7 millions de tonnes de pétrole comme production potentielle annuelle du Sahara. On se souvient que l'Omnium Français des Pétroles avait envisagé de construire en Bourgogne une raffinerie rien que pour le Pétrole Saharien. Et Maxé Lejeune alors Ministre français, inaugurant le pipeline n°1 à Toggourt en Algérie, déclarait : «Dans quelques années, la France, aidée par des concours extérieurs arrivera à obtenir son ravitaillement en carburant et deviendra directement après les USA et l'URSS la 3è puissance énergétique mondiale». Et c'était bien là le véritable mobile de la création de l'OCRS qui a causé entre 1958 et 1960, une véritable fièvre dans les milieux, capitalistes et gouvernementaux français. Des actions médiatiques ont été menées : - une exposition a été ouverte à Paris
pour faire connaître les gravures rupestres découvertes par Henri
Lhote à Tam Ajers. Le projet OCRS échoua parce que le Gouvernement de la République Soudanaise dirigé par l'US RDA, s'opposa fermement à cette tentative d'atteinte à notre intégrité territoriale, et parce qu'il fut rejeté par la plupart des chefs de tribus et de fractions. Cette folle entreprise a donc été enterrée à l'installation du premier Conseil de Gouvernement de la République Soudanaise, en présence du Haut Commissaire de la France et de l'Inspecteur des Colonies : la partie soudanaise était représentée par le Vice-Président du gouvernement, Jean-Marie Koné et le Ministre de l'intérieur Mamadou Madeira Keita. Le projet d'amputation du territoire soudanais au profit de l’OCRS, fut retiré devant l'opposition ferme de la partie soudanaise. L'année suivante, en 1958, en présence du Gouverneur Général des colonies Messmer en visite chez nous, le conseiller territorial de Goundam, Mohamed El Mehdi, chef général des Kel Antassar revendiquait l’indépendance de la zone saharienne qu' il voulait faire ériger en soi-disant «République des Lithamés» pour «soustraire les nomades blancs à la domination de leurs anciens esclaves noirs». Le Gouverneur général Messmer envisageait favorablement la requête. Il fallut à la partie soudanaise un argument juridique et constitutionnel de taille, en l'occurrence l’appartenance de la République Soudanaise à la «Communauté Franco-Africaine une et indivisible». On voit là un exemple d'alliance entre des forces centrifuges endogènes et d'origine externe. Le chef Kel Antassar persista dans sa volonté de sécession
définitive qui aboutit, à la rébellion qui se manifesta
dans l'Adrar des Iforhas et fut jugulée en 1964. Le mouvement rebelle des années 1990-1992, chacun le sait, a recruté les populations originaires des régions décimées par la sécheresse de 1973 et qui ont trouvé refuge dans les pays voisins et en Libye. Des jeunes et des hommes valides ont été soumis à une formation idéologique poussée ; ils se sont aguerris dans les champs de bataille d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Certains rêvaient d'instaurer, au sein de la SAOURA, la révolution au Mali. D'autres affirmant parler au nom d’un peuple de l'Azaouad, entendaient engager résolument «la lutte armée de libération» pour «recouvrer leur liberté confisquée et leur dignité bafouée et pour décider librement de leur avenir conformément à leurs aspirations légitimes». Les premiers pensaient à instaurer une «Jamahiriya » et les seconds une République Islamique. Un troisième mouvement proclamait que sa berbérité ne saurait se réaliser que dans une entité excluant les Arabo-Islamiques. Les tenants de la République Islamique ont expédié une lettre aux chefs d'état de l'OUA, de la Ligue Arabe, de la CEE et des états membres Permanents du Conseil de Sécurité de L’ONU. Il y est dit que «mandat a été donné à la direction du Front Islamique Arabe pour la Libération de l'Azaouad en vue d'informer longuement tous les pays frères et amis, particulièrement ceux de I'Afrique et du Monde Arabe, mais aussi la France en tant qu'ex-puissance coloniale, sur le sens et les objectifs de cette lutte de libération et sa nécessite historique devenue plus que jamais impérieuse quant à la survie et à l'affirmation de son identité propre sur le plan national. » Il semble que parmi les tribus touareg, le mouvement de rébellion n’ait touché ni les Ouilliminden de Ménaka, ni les Kel-Bourem, les Irreguenaten et les Iguadarane de Gourma Rharous, ni les Kel Temoulaït et les Tillémédès de Tombouctou, ni les Tingueréguif de Goundam et de Diré. Il en serait de même des tribus arabes des Kunta, des Tormoz et des Idreylouba et enfin parmi les Kel Tamashek des Deg Hawalane, des Kel Haoussa et des Kel Essouk. IV - CONCLUSION On peut constater en conclusion que les problèmes qu' affrontent les régions Nord du Mali, les Régions Sahariennes d’Algérie, du Niger, du Tchad et de Mauritanie ne sauraient être réduits à une nécessité de décentralisation administrative. Il s'agit de donner des réponses cohérentes à des questions aussi graves que la volonté de sécession de populations nomades instrumentalisées, de protection d’intérêts économiques et stratégiques, de risques éventuels d'unifications à bases raciales permettant à des puissances Étrangères de s'accaparer des richesses minières en Afrique. |